STUPID HIGHLANDER ! — Kenneth MacGregor

Une journée de plus sous la pluie, le vent et pour ne rien gâcher, le brouillard additionné d'une menace de  neige. Une belle matinée de fin d'hiver en somme ! Rien à voir avec la météo des semaines précédentes, beaucoup plus froide et tempétueuse. L'eau dégoulinait sur son tartan pour créer de petites flaques au sol. Il avait depuis longtemps arrêté d'espérer de garder un feu allumé. Il serait toujours temps d'y penser plus tard dans la journée. Plus important était de garder le peu de bois sec qu'il avait collecté au sec, justement, pour la nuit à venir. Car le printemps pouvait s'annoncer, il n'était pas encore arrivé en force.

Le camp qu'il avait aménagé se situait à une faible distance de la route joignant Inverness. Pas très sécurisé, mais à l'abri du vent et d'une partie de la neige fondante grâce à un grand résineux déraciné. Il avait l'habitude de vivre dans les bois et dormir à la belle étoile ne le dérangeait pas. Au contraire, il en profitait tant qu'il le pouvait, sachant qu'il finirait très probablement sa vie dans une prison, ou au bout d'une corde. Ou les deux. La pluie et le froid étaient bien plus agréable que cette perspective. Le plus difficile quand on longeait dehors, c'était de garder ses armes hors de l'humidité. Il se trouvait là depuis quelques jours, son laird lui ayant vivement conseillé de se faire discret et de quitter les terres Campbell le temps que les remous de leur dernier raid se calment. Le voilà donc qui logeait en terres Morgan pour quelques semaines... En attendant qu'un Gregor le retrouve pour lui signaler qu'il pouvait rentrer à la maison. Il était en train de vérifier la quantité de provisions qu'il lui restait quand un bruit de sabots se fit entendre. Il saisit ses armes et se déplaça silencieusement hors de son refuge. Caché par un talus, il espionna les voyageurs, cause de son alarme. Trois hommes, une femme. Plus important, trois tuniques rouges et une fille des clans ! Que faisaient-ils donc sur les routes par ce temps passablement inconfortable pour qui n'y était pas habitué ? Comme ces chiens d'Anglais, par exemple. Ils étaient là pour une raison, et se dirigeaient vers Inverness, le sud et les terres conquises. La raison de cette situation s'expliquait aisément : la dame était une prisonnière en transfert vers Fort William ou un autre endroit où elle serait questionnée allégrement. Si on ne lui faisait pas subir pire châtiment ! Son sang ne fit qu'un tour. Il connaissait l'endroit et décida de se poster en embuscade à une demi-lieue de là, dans un endroit propice à la surprise. Il se déplaça furtivement et arriva en position avant que les chevaux n'aient rejoint l'endroit. Trois hommes, voilà qui n'allait pas être une mince affaire, mais il ne pouvait décemment laisser cette demoiselle entre les mains des envahisseurs. Un sourire illumina brièvement son visage avant qu'il ne lance un cri de guerre et se jette dans la bataille. Le premier de l'escorte eut à peine le temps de réaliser ce qu'il se passait qu'il était déjà au sol. Le second ne dura pas plus longtemps et la chose qui maintint le troisième en vie plus longtemps était la distance à parcourir pour l'atteindre, et son cheval qui renâclait. La force d'un raid, c'est sa rapidité. Si Kenneth avait été trop lent, il serait mort depuis longtemps. Le cheval de la dame avait pris la fuite, bientôt suivi par ceux des anglais. Peu lui importait, il les rattraperait plus tard. Plus pressant était de s'assurer que les Anglais étaient bien morts et ne lui tireraient pas une balle ou lui planteraient une dague dans le dos. La dame n'avait pas l'air d'avoir quelque chose de cassé, puisqu'elle était déjà en train de se relever.

Après avoir proprement plongé sa lame dans le cœur des trois étrangers, et essuyé l'épée sur la tunique du dernier soldat, -tiens, un lieutenant!- il se redressa pour faire face à une demoiselle fort en colère. Lui qui s'était attendu à des remerciements, il en était pour ses frais. Rustre ?! Ecossais ?! Il la toisa de toute sa hauteur,

« Cessez de me frapper, vous allez vous abîmer les mains ! » S'il s'était attendu à pareil accueil, il se serait sans doute abstenu... Quoi que... Il n'aurait pas pu manquer l'occasion d'éliminer trois envahisseurs si facilement. « Je viens de tuer trois Anglais pour vous secourir, le moins que je puisse espérer, c'est un merci de votre part ! » Il lui sourit espièglement, une expression passablement dérangeante sur le visage barbouillé de sang du guerrier, « Ou mieux, un baiser ?! »

Si cela avait été son premier « meurtre », cela seul lui aurait valu la corde. Là, cela allait simplement faire monter le montant du prix qu'il avait sur sa tête... Un lieutenant, ce n'était pas rien !

Il ne s'attendait pas vraiment à ce qu'elle le remercie, pas après qu'elle l'eut attaqué, mais des explications étaient nécessaires.

« Vous n'êtes pas blessée ? »

Décidément venir en aide à une demoiselle n'est plus ce que c'était ! Je ne pensais pas qu'elle allait me rabrouer pour l'avoir secourue, mais apparemment ce ne serait pas ma première erreur de la journée. Au moins elle avait arrêté de me frapper, ce qui était un début. Et elle ne s'enfuyait pas en courant non plus ce qui était une excellente chose. Elle affirma ensuite que ces... hommes... étaient son escorte. Son escorte ! Je lui répondis d'une voix où était clairement perceptible mon incrédulité,

« Vous comptiez sur ces tuniques rouges pour vous ramener chez vous ? Vous ne pouviez pas trouver quelques vrais Highlanders pour vous accompagner, à défaut d'hommes de votre clan ?! On ne peut pas leur faire confiance ! » Je désigne un des morts d'une main. « Ils ne sont même pas capables de se défendre, comment auraient-ils pu vous protéger !? » Trois contre un et pas un seul n'avait réagi ! Pitoyable ! « Ma dame, vous devriez apprendre à mieux choisir vos compagnons de route ! » Une Fraser ! Il avait entendu dire que les Fraser s'entendaient plutôt bien avec l'envahisseur, il venait d'en avoir la confirmation. Dieu ! Comment pouvait-on faire confiance à ces ordures ?! C'était certain, avec de telles personnes, le roi James ne retrouverait jamais son trône ! A se demander s'ils préféraient un roi étranger sur leur trône ou si la situation les indifférait. Après qu'elle eut fait le signe de croix sur le premier soldat, il se pencha et fouilla le corps pour voir s'il n'y avait pas quelque chose d'utile à récupérer, monnaie, couteau, aiguille, lame, poudre, balles, pistolet ou courrier.

Il ne terminerait pas sa course beaucoup plus riche mais finit par dégoter une flasque de whisky sur le lieutenant. Ah ! Il n'avait pas perdu complètement sa journée ! Elle lui demanda qui il était. Il lui jeta un regard avant de saluer les morts d'un geste et de boire une lampée,

« Ma'ame, à écouter ces roses causer, je n'existe même pas... » Les Anglais leur avaient enlevé jusqu'au droit de porter un nom, ou encore celui de posséder ne fut-ce qu'un couteau... Eh bien, ceux-ci avaient été tués par un fantôme... Il sourit amèrement. Les enfants des brumes... Pour cela aussi le titre leur allait si bien. Mais ces idiots avaient oublié une chose : on a beau essayer de capturer le brouillard, à l'instar d'un mauvais esprit, même le plus fin filet ne peut y parvenir... Et il trouvera toujours un interstice par lequel entrer ou s'échapper. Il nota qu'elle avait l'air plus en colère qu'effrayée. Au moins, si elle était si énervée, c'est qu'elle n'était pas blessée, sinon, elle hurlerait. Il lui fit une très légère courbette, en la regardant dans les yeux pour observer sa réaction,

« Kenneth MacGregor est mon nom de baptême. » Il ne pensait pas qu'elle détale comme un lièvre, elle l'aurait fait plus tôt si cela avait été son genre, mais il se tenait prêt à la poursuivre le cas échéant. La garnison n'était pas proche, ce n'était pas ce qu'il craignait, mais elle mourrait de froid avait d'avoir atteint le premier hameau. Et il ne voulait pas de la mort d'une compatriote sur la conscience, même si sa famille copinait avec l'ennemi. « Puis-je demander qui j'ai l'honneur de rencontrer ? », une dame Fraser, oui. Mais qui ? Il y en avait plusieurs, si sa mémoire lui servait... Mais une chose était certaine leur laird ne faisait pas partie des fervents défenseurs de la cause jacobite, cette fille en était la preuve. Se laisser escorter par l'ennemi au lieu d'hommes du clan ! Pouah ! Quelle déchéance !

Une fois qu'il eut reçu la réponse, il ne perdit plus de temps. Les journées étaient courtes, et s'il voulait retrouver les chevaux, il ne fallait pas trop traîner. Même si avec un peu de chance, ces derniers n'auraient pas été bien loin une fois la peur passée. C'étaient des chevaux de l'armée, ils devaient être habitués à bien pire... « Venez avec moi, vous ne pouvez rester ici. » On pourrait croire qu'elle était la cause de ce massacre. De plus, elle pourrait attraper la mort à rester dehors sans en avoir l'habitude. « Mon bivouac n'est pas très éloigné. Vous pourrez vous y reposer pendant que je m'occupe des chevaux. »

Eh bien, le père de cette femme était encore plus inconscient qu'il ne l'avait imaginé ! Laisser une demoiselle de grande famille voyager seule, ainsi ! Heureusement qu'il l'avait secourue, elle aurait pu se faire assaillir par de belles crapules s'il n'avait pas été là ! Il jeta un œil aux tuniques rouges allongés au sol. Ces hommes étaient de charmante compagnie ?! Eh bien, le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle n'était pas difficile… Ou bien son caractère était-il à ce point exécrable que personne n'avait accepté de l'escorter ? Pour s'entendre avec l'anglais il ne fallait pas être tout juste dans sa tête…

Il se pencha pour fouiller les corps et dénicha une flasque de whisky dont il s'empressa de boire une lampée. Cela faisait si longtemps qu'il n'en avait pas goûté ! Il ne proposa pas de partager, supposant la dame trop délicate pour profiter du pillage des morts. Déjà qu'elle marmonnait des prières… Il fut surpris qu'elle lui vole l'alcool avant de s'en servir une gorgée aussi. Finalement, sous ses grands airs, elle restait pragmatique. Une excellente chose, selon lui.

Elle se présenta et il fut assez surpris du nom mentionné. Fraser, eh ! Et une des filles du laird si sa mémoire était correcte ! Apparemment la famille était très proche des Anglais, encore plus que ce qu'il ne l'aurait cru, pour être ainsi escortée... Il demanderait à son laird s'il fallait piller ou éviter leurs terres... Cela pouvait rapporter gros, mais les risques étaient gros aussi. Il ramassa ce qu'il avait à récupérer et lui proposa de l'emmener au sec. Ou presque sec, du moins.

Elle lui demanda ce qui était advenu de son clan… Fréquentait-elle à ce point les envahisseurs qu'elle n'avait jamais entendu l'histoire des MacGregor ?! Ou bien la question était posée pour se moquer, pour lui montrer qu'il valait mieux faire comme les Fraser, s'allier à ces charognes en rouge... Il secoua la tête en signe de désespoir et se pencha pour éviter une branche, puis lui répondit d'une voix fière et triste, « Les MacGregor sont une vieille famille. Nous avons pour ancêtre le Roi Alpin, un des premiers à avoir gouverné cette région. » Il soupira. Aujourd'hui, il ne restait plus grand-chose de royal dans la famille, du moins en ce qui le concernait. Il était loin le temps des gobelets d'argent, des torques d'or et des palais où la bière coulait à flots. « Nous possédions les terres aux alentours du Loch Lommond, de bonnes terres. Jusqu'à l'arrivée de Robert de Bruce. Ce roi a attribué certaines de nos terres ancestrales aux Campbells, pour service rendus pendant la guerre, alors que nous aussi avions combattu à ses côtés, et sans faillir. Lèches bottes ! » Il donna un coup de pied dans une souche pourrie. Et le cela durait toujours, la famille avait été reconnue et anoblie par ceux du sud assez récemment... « Malgré tout, nous avons continué ; simplement nous avons un peu débordé sur les frontières pour quelques raids… Et année après année, on nous a retiré nos territoires, jusqu'à ce qu'il ne nous reste que Glenstrae, et Glengyle alors que nous possédions Glen Orchy, Glen Lochay, Glenlyon, … Une année, nous avons dû recourir au braconnage pour survivre. Et, puisque le roi James VI nous avait retiré des terres, nous avons décidé de prélever du gibier dans ses forêts. Le garde chasse du roi a pendu plusieurs des nôtres, alors nous l'avons tué. Et pour ça, le roi nous a interdit le droit de porter notre nom et a déclaré que n'importe qui pouvait nous tuer sans avoir à répondre de leur crime. C'était il y a plus d'un siècle, mais nous sommes toujours pourchassés comme du gibier. Il n'est pas loin le temps où certains lairds se complaisaient à faire combattre des Gregor dans une fosse avec des bêtes sauvages. Bien sûr, on ne nous donnait aucune arme… S'allier à ceux du sud rapporte beaucoup... » Les Campbell en avaient d'ailleurs largement profité, récupérant des terres qui ne leur revenaient pas. « Nous ne sommes plus très nombreux à pouvoir nous prétendre MacGregor, nous n'avons même pas le droit de posséder un couteau, et certains dressent des meutes de chasse pour nous poursuivre. Quelques-uns ont essayé de nourrir leurs chiens au lait de femmes du clan pour mieux nous pister. » Il espérait sincèrement que ces rumeurs étaient infondées. Mais avec ces sassenachs, ils ne pouvait jurer de rien.

Il haussa les épaules.

« Je suis né avec une corde autour du cou… Comme tous les nouveau-nés qui portent le nom de MacGregor. » Etait-il donc si étonnant qu'ils soient nombreux à se tourner vers le brigandage, alors même que c'était pour eux la seule façon de survivre… Ils vivaient tous dans l'espoir qu'un autre roi, venu des terres écossaises leur donne à nouveau le droit d'exister. Quoi de plus normal ?

« Ils veulent nous éliminer, ils n'ont réussi qu'à se faire des ennemis implacables et sans merci. »

Il la guida jusqu'à son campement, bien caché et presque sec. Il raviva légèrement le petit feu qui se mourrait et l'invita à s'installer,

« Asseyez-vous près du feu, je vais aller récupérer les chevaux. Ils n'ont pas dû aller bien loin. »

Rien de tel qu'une bonne embuscade pour égailler un morne après-midi de février... C'était ce qu'il avait pensé, jusqu'à apprendre que sa proie était en réalité une dame Fraser, qu'il avait dérangé pendant son voyage... Il faut dire que son escorte plaidait plus en faveur d'un transfert de prisonnier que d'une quelconque protection : a-t-on idée de se balader en compagnie de tuniques rouges, et de s'en remettre à eux en matière de sécurité ?! Il prouva rapidement l'inutilité de ces hommes, les envoyant rejoindre leurs ancêtres dans l'enfer qui leur est réservé. Malheureusement les chevaux avaient fui alors qu'il s'occupait des hommes, et ils se retrouvèrent à devoir marcher. La dame Fraser lui demanda de lui conter l'histoire des MacGregor, comme si elle ne la connaissait pas. Il lui expliqua donc ce qu'il était advenu de son clan depuis sa dissolution par le roi.

Il continua à la guider dans les bois, en direction de la maigre chaleur de mon feu et de l'abri salutaire de quelques branches de pin. Il n'était pas simple de se repérer en forêt et encore moins de trouver un itinéraire praticable pour une demoiselle en jupons, mais il finit par y parvenir. Bien sûr, il y avait de la boue, mais ils ne s'enfonceraient pas jusqu'au genoux dans la fange. Il faut croire qu'il parvint à émouvoir un brin la donzelle, puisqu'elle affirma être désolée pour ce qu'il était advenu de son clan. Il lui jeta un regard pour vérifier la sincérité de ses dires.

« Un jour, nous retrouverons notre nom. » Plus qu'un espoir, c'était une certitude. Et ce jour-là, ils seraient nombreux à regretter la façon dont on avait traité les MacGregor. Il s'en faisait le serment.

Il sourit sombrement quand elle déclara avoir remarqué sa supériorité face aux envahisseurs anglais. Ces gars-là avaient à peine valu le mal qu'il s'était donné pour les occire. Ils finirent par arriver à son bivouac, et il commença à attiser le feu pour que la dame soit un peu plus confortable, en attendant son retour. Parce qu'il ne comptait pas attendre que les chevaux les retrouvent. A moins qu'ils ne sentent le fond du sac d'avoine prévue pour son porridge du matin, il y avait peu de chance qu'ils s'approchent. Mais Kenneth pouvait les pister. La distance jusqu'aux terres Fraser était trop grande pour qu'une dame le fasse à pied. Ses chaussures ne tiendraient pas le coup, et elle attraperait peut-être la mort avant d'arriver à destination.

Il lui tendit a flasque de l'officier,

« Prenez ça pour vous tenir au chaud. Il me reste un peu d'avoine, mais je n'ai plus rien d'autre. » Il essaierait peut-être de prendre un lièvre au collet cette nuit-là. Il avait repéré une coulée de gibier qui était prometteuse. Elle lui demanda de revenir rapidement. C'était vrai, la nuit tombait vite en cette saison. Elle ne voulait sans doute pas rester seule trop longtemps. « Je serai de retour avant le coucher du soleil. » Après, il devenait très ardu de se repérer dans ces bois de résineux touffus.

Il la quitta après s'être délesté de ses nouvelles possessions, mais garda tout de même ses armes. Il repartit en direction de là où ils étaient arrivés, afin de remonter la piste.


Il réapparut au campement avant le coucher du soleil, comme promis, les chevaux en file indienne derrière lui. Il arrivait d'un tout autre côté, ayant fait un détour notable pour ne pas que leurs traces soient pistables jusqu'à son campement. Il avait fait au plus vite, mais en prenant tout de même des précautions ; sans un minimum de prudence, il serait déjà mort depuis longtemps. Il était content de lui, les bêtes rapporteraient un bon prix. Il devrait sans doute revendre le harnachement séparément, et à des spécialistes, afin qu'il maquillent les insignes militaires et modifient les selles pour qu'elle puissent passer pour de la marchandise locale. Il n'y avait pas à dire, les militaires anglais étaient choyés niveau équipement. « Je suis de retour ! » s'annonça t-il afin de ne pas effrayer outre mesure la demoiselle. Il attacha les chevaux à des arbres non loin, et se mit en devoir de détacher les fontes des chevaux de l'armée. Il laissa la monture de Georgina tranquille. Il apporta son butin près du feu afin de voir s'ils auraient de quoi dîner le soir. Il sortit rapidement des bannocks et de la viande séchée de l'un des sacs en cuir, ainsi qu'une petite bouteille de porto. Bien, il n'aurait pas à aller remplir sa gourde au ruisseau. « Et nous allons festoyer ce soir ! » ajouta-t-il en lui montra ses trouvailles.

Ce n'étaient peut-être que des rations de route, pas de quoi se réjouir pour une dame de la société, mais pour Kenneth c'était un changement dans un régime alimentaire assez triste.

La météo n'étant pas très clémente pour une dame, Kenneth ramèna Georgina à son campement. Elle n'avançait pas très vite au vu de ses jupes, mais au moins, elle ne se plaignait pas. Ce qui lui fit se demander s'il ne lui avait pas fait un peu peur, malgré ce qu'elle prétendait. Il était la cause de la chute de Georgina et de sa perte de monture, il était normal qu'il répare cette erreur. Même si elle prétendait que ces chiens d'Anglais pouvaient faire l'affaire quand il s'agit d'escorte… Vu la facilité avec laquelle il en était venu à bout, il pourrait affronter la moitié de l'armée anglaise en duel avant de tomber sous leurs coups… Mais cela n'empêchait pas qu'il se retrouve dans une situation délicate : une dame un peu perdue au milieu de nulle part, et qui voulait rentrer chez elle. Le devoir lui intimait donc de la raccompagner. Mais il y avait un obstacle de taille à ce projet : la fuite de leurs montures.

Kenneth s'assura donc que la Fraser était bien installée à son campement (feu, nourriture et eau), de quoi survivre au moins un après midi… avant d'annoncer qu'il partait à la recherche des montures. Cela ne plut guère à Georgina. Le Highlander lui répondit par un sourire… pour peu, il aurait cru qu'elle était effrayée à l'idée de rester seule…

« Je reviendrai, vous en avez ma parole. » Il ne la donnait pas à la légère, et n'était pas certain que cela suffise à Georgina, mais c'était tout ce qu'il pouvait lui offrir comme garantie. Il n'avait rien de plus précieux que son honneur.

Une fois qu'il se fut assuré que la dame était installée aussi confortablement que possible, il s'en alla pister les bêtes. Elle n'avaient pas galopé bien loin, mais son retour prit néanmoins un certain temps, puisqu'il prenait garde à ne pas laisser de piste jusqu'à son refuge, et en plus à ne pas embourber les chevaux dans la tourbe omniprésente.

Il réapparut avec les bêtes au moment où le soleil se couchait, et nota que la dame était prête à passer à l'attaque, si besoin. Il s'annonça pour ne pas lui faire encore plus peur… et éviter de se prendre un mauvais coup.

Elle avoua qu'il lui avait effectivement fait peur, bien que ce soit sans le vouloir, et elle se dirigea vers son cheval. Bien, cela lui ferait une bête en moins à s'occuper. Il prit soin des trois autres et vida leurs fontes, calculant déjà le bénéfice que la vente allait lui rapporter. Enfin aux MacGregor, surtout. Peut-être James voudrait-il garder les chevaux pour une prochaine campagne de pillages ?

Georgina le remercia de lui avoir ramené sa monture, il ne s'était pas attendu à ces paroles, et lui répondit sur un ton plus chaleureux que d'habitude,

« Elle a eu peur, mais c'est une bonne bête que vous avez-là. Une bonne tête sur d'excellentes jambes. » La jument était d'un très beau modèle et n'avait pas fui très loin, malgré les cris et la bagarre. Kenneth termina d'inspecter les fontes des montures de l'armée avant d'en sortir de quoi manger… et même plus !

Il montra fièrement ses trouvailles à la dame Fraser, qui proposa d'ajouter ses vivres aux siennes.

« Slainte ! » dit-il en débouchant la bouteille pour trinquer. Il alla s'asseoir en face de Georgina et commença son repas bien mérité. C'était bon ! C'était même délicieux ! Et elle ne devait pas lui en vouloir tant que cela, si elle acceptait (et même proposait) de partager son repas. « C'est la première fois que vous campez en forêt ? » lui demanda t-il une fois la première gorgée bue. Il reposa ensuite la bouteille et commença à installer un petit campement un peu plus digne d'une dame – c'est à dire qu'il commença à breller quelques morceaux de bois à l'aide de tiges d'osier, de quoi faire un encadrement de lit rudimentaire, et en utilisa d'autres pour créer un sommier. Tout en travaillant, il lui demanda, « Racontez-moi, si vous le voulez bien. Quel effet cela fait de vivre dans une famille prospère ? J'ai ouï dire que les terres Fraser sont riches et vos coffres pleins d'or… Et que votre père gère tout cela de main de maître. » Ensuite il arrangea des rameaux de pin, puis les couvertures des soldats sur le lit de camp ainsi improvisé. De quoi avoir un peu de chaleur et un minimum de moelleux. Ce ne serait pas un lit en duvet, mais ce ne serait pas non plus le sol nu et couvert de racines auquel il était habitué. L'opération lui prit une bonne heure, et la nuit était noire quand il annonça : « voilà, je ne pourrai faire mieux ce soir. »