(do not risk what is safe for the uncertain)

là-bas, antilles.

« Ma fille ? » - s’entend-t-il lancer, le regard vif porté sur la ligne d’horizon qui épouse le niveau de  l’eau, l’océan s’étend à perte de vue. Le Reana tangue sous son regard et malgré l’appréhension et les perspectives qui se révèlent à travers la brume, la seule personne à laquelle il dédie toutes ses pensées se trouve dieu seul sait où. «Navré m’sieur MacKintosh, la mamzelle est partie jouer avec Capitaine sur la plage » Fillan pousse un long soupire, Telesia et ce maudit chien qu’elle refuse de quitter, encore un caprice auquel il a répondu par l’affirmative. « Je lui reconnais une fougue qui peut en mater plus d’un, rassurez-vous, Lorma, je ne vous en tiendrais pas rigueur » - il sourit, se passe une main sur le visage, le bateau lèvera l’ancre dans moins d’une demi heure, fougueuse ou pas, matoise ou pas, il se fera un plaisir de trainer sa fille par les cheveux sur le ponton de ce navire s’il le faut. Cette île abrite les souvenirs d’un périple qu’il escompte laisser derrière lui ; il va mettre les voiles et tâcher d’oublier toutes les heures paresseuses qu'il y a passé. Pour autant, il en gardera la chaleur dans le cœur et à l'esprit. Ses pensées sont brisées par la voix enfantine qui éclate aussitôt , malgré le vent qui souffle, propice à leur départ.«Père, père, nous avons récupéré des coquillages » - 'nous' songe-t-il, posant les yeux sur le  cabot haletant, il se penche à peine pour en caresser le poil.« Nous t'attendions, montes donc et demande à Hermione de t'aider à te débarbouiller, tu es couverte de boue » - s'il grimace, un sourire vient confronter ses peurs paternelles au soulagement. Si la version officielle tend à prêter à ce départ un élan de renouveau, les affaires dans lesquelles il trempait n’étaient guère licites ; Fillan n’est à cet instant rien d’autre qu’un énième fuyard ; celui qui quête une sérénité sur la terre qui l’a vu naître et qui pris au collet embrasse une dernière fois l'aimée des iris.

(...)

onze ans plus tôt.

« Une pinte » - siffle-t-il, l’oeil appréciateur, il considère la taverne du regard ; des flammes brûlent dans les lampes  à huiles dispersées çà et là, à sa gauche se tient un bon gaultier qui pionarde une gapette sur la tête, il chante à tue-tête Gort na Saileán. Encore un irlandais qu’hurle comme un goret qu’on égorge, songe le Fillan entrant tout juste dans sa vingt quatrième année d’existence et qui s’apprête à entamer le périple d’une vie. « Quelque chose à fêter ? » - il reporte son attention sur la rombière qui le fixe, des yeux doux, un visage singulier, modulé par un sourire chaleureux. «  Je fête le soleil qui se lèvera dans quatre heures, les opportunités qui se présentent » - il s’accoude au comptoir, se reflète sur sa rétine une image floue, qu’il est encore bien incapable de comprendre. « Aux rencontres ponctuelles » - lance-t-il, levant la chope qui vient d’être déposée sous ses mirettes. (…) Il se redresse sur son tabouret, décrit d’amples gestes, dessine du bout des doigts une carte intangible ; il voit au dessus, à travers les planches de bois, les étoiles enchâssées dans les cieux. « Là, vers les Amériques, par delà la mer du nord se cachent les îles de l’avant. L’on raconte une nature luxuriante et indomptée » - sa destination, car il va embarquer sur ce vieux bateau , seulâbre pour découvrir ce que le monde, plein de promesses, a à lui offrir. «A bheil thu ga mo thuigsinn ? » (est-ce que tu comprends ?) il secoue la tête, abandonne le gaélique pour une langue plus commune. « Dis-moi, je manque à tous mes devoirs, comment te nommes-tu ? » - il répète , murmure des lettres, un prénom qui signifie fleur, venu d’un ailleurs voisin qui lui rappelle tous les paysages qu'il ne verra pas de si tôt. « Fillan MacKintosh » - lance-t-il, un sourire en coin de lèvres. Il boit une autre gorgée, jette un œil à travers la fenêtre sur les vitres de laquelle la buée s'est déposée; c'est le crépuscule. Il ne faudrait pas qu'il soit en retard. Il se relève ramasse ses défroques et dans la hâte est sur le point d'oublier le plus important. Il revient sur ses pas pour subtiliser un baiser à la serveuse qui toute la nuit durant a écouté ses récits. « Pour la chance ».

(...)

de nos jours

« Tu paies, godon, ou tu t’esbignes dare-dare » - crache Fillan, attirant l’œil de l’officier anglais sur  la dague qu’il appuie à quelques centimètres de ses valseuses. « A moins que tu tiennes à n’avoir ni plaisir, ni descendance » - ajoute-t-il, pour donner du poids à sa menace. Une troupe s’est installée, quatre lunes auparavant, dans le local vide de son entrepôt ; avec la ferme intention d’y demeurer pour des temps indéfinis. De quoi agacer ses nerfs de manière efficiente ; voilà que les négoces avec ces maudits rouges se transforment en un piège qui se referme sur lui. Il leur sert l’alcool nécessaire, il leur procure une place où roupiller, il transporte leur munition, cela devrait s’arrêter là. « Il n’y a nulle querelle entre nous, l’ami » - Fillan grogne, en ces lieux, il n’est l’ami de personne (et surtout, de tout le monde). « C’est oublié, vas donc à la taverne située à la croisée des chemins à une lieue et demande après Pip MacGovern, il t’aidera à y faire bonne chière » - le sourire qui étire ses lèvres cache la nature de ses intentions, Pip se fera un plaisir de lui trancher la gorge. S'il accepte bien des choses venant de ces anglais, il est de fait hors de questions qu'un simple officier vienne défier une autorité qu'il a gagné au prix du sang. Il suit le bougre du regard, croise une oeillade de son second auquel il fait un signe du menton. A travers un seul geste, mille mots. Le second suivra l'officier jusqu'à ce que Pip s'en occupe. « Les affaires m'appellent ailleurs, messieurs. Faites-moi savoir au besoin, mes collaborateurs se feront un plaisir de vous prêter main forte » - sur ces paroles, il se précipite dehors, la taverne qu'il  vient d'acquérir abritera dans les heures qui suivent un rassemblement de jacobins, Fillan ne suit qu'un seul vent, celui qui ramène le plus d'esterlins.